L'art et la propagande

On se représente très souvent la figure de l'artiste comme celle d'un créateur, d'un libre penseur, se situant en marge de la société. Mais les artistes se mêlent volontiers de politique. Plus couramment associés à la subversion et aux mouvements révolutionnaires, certains artistes, par conviction ou par obligation, participent très souvent par leur art à maintenir le pouvoir politique en place. Lorsque l'art répond directement à cette fonction, on le désigne comme art de propagande.



Bien souvent, on désigne l’art de propagande comme étant une affaire liée au totalitarisme du 20e siècle, par opposition à l’expression artistique libre, vaste et diversifiée, généralement associée à des créations artistiques manifestées au sein de la société démocratique et libérale. Or, de l’art de propagande, c’est vieux comme le monde. L’art de propagande n’est pas juste un simple culte de la personnalité, aspect visible et accrocheur, très prisé comme moyen de communication éducationnelle pour endoctriner une population dans sa perception de leur leader politique...

Les pères du peuple soviétique


L’art de propagande est un outil à la disposition d’un pouvoir politique pour influencer sa population dans l’exercice de sa gouvernance, afin de rendre l’opinion de cette masse populaire maniable.

Une affiche communiste qui ordonne carrément à ses citoyens
de ne pas bavarder inutilement entre eux.
Pourquoi, selon vous, un gouvernement craindrait-il cela?

Le recrutement pour l'armée. Ça VOUS concerne. On se sent visé, c'est sûr...

Plus près de nous: une invitation un peu plus cordiale à s'enrôler.

Une grande partie de l’art occidental de propagande est au service d’une religion étatique dissimulée derrière la foi. Une autre partie substantielle de l’art occidental peut être qualifié de l’art de propagande ayant pour but d’enrégimenter au service du pouvoir monarchique.
Un extrait du spectaculaire tableau Le Sacre de Napoléon par Jacques-Louis David, qui n'est rien d'autre que de la propagande qui n'ose dire son nom. Le message: la présence de l'église fait de l'empereur Napoléon un roi sacré.

Contrairement à l'art sacré ou l'art politique (comme le Sacre de Napoléon) l'art de la propagande proprement dit agit davantage comme de la publicité. Pour en explorer les codes, lire Les stratégies et les codes de la propagande.


Voici quelques images glorifiantes pour effleurer un aspect de l’art de propagande du 20e siècle que l’on désigne parfois par le culte de la personnalité d’un leader politique.

Le Grand timonier, soleil levant de l’Orient pour son peuple.


Le Petit Père du peuple, capitaine du mouvement socialiste.

Les nazis firent un usage systématique de la propagande, visant autant à glorifier leurs figures politiques qu'à dénigrer leurs ennemis.

Un poster de 1932 qui proclame: "Les travailleurs se sont réveillés".
Les juifs y sont dépeints comme des exploiteurs et des profiteurs.


Hitler en sauveur (l'affiche, comme celle de la campagne d'Obama,
aurait très bien pu être soulignée du mot HOPE...)

Hitler, en digne successeur du vieux Bismarck, déjà derrière...

Le culte de la personnalité d’un leader politique a beaucoup évolué au cours de la seconde moitié du 20e siècle avec l’arrivée de la télévision et la démocratisation de la caméra. Cette forme d’art s’est alors diversifiée et subtilisée, devenue encore plus pernicieuse et détournée: de la simplification du message au glissement de sens du vocabulaire choisi et véhiculé à travers les médias modernes, en passant par l’utilisation de la peur – le bon vieux truc qui fonctionne toujours et encore, des témoignages bidon, des apparitions de pseudo spécialistes, mais partisans et faiseurs d’images à la télé, etc.

Le successeur du Cher Guide coréen, fils de Kim Il-Sung, Kim Jong-Il,
présenté ici aussi radieux et plein de promesse qu'un matin de printemps.



Une affiche de Shepard Fairey qui a considérablement aidé à vendre l'image d'Obama lors de sa première campagne présidentielle, en 2008. Shepard Fairey n'était alors qu'un artiste underground issu de la scène du street art. L'affiche originelle disait PROGRESS mais que l'équipe de campagne l'avait contacté pour le remplacer par un message plus en ligne avec celui de la campagne. Fairey a distribué à ses frais 300 000 autocollants et 500 000 affiches pendant la campagne, se finançant par la vente d'affiches et de dérivés. Cette image fut reproduite et imitée, le HOPE (espoir) étant parfois remplacé par CHANGE ou VOTE sur des affiches.



Barack Obama lui a envoyé une lettre de remerciements pour son soutien : « Je veux vous remercier d'avoir utilisé votre talent au service de ma campagne. Vos messages politiques ont encouragé les Américains à croire qu'ils pouvaient changer le statu quo. Vos images ont un effet profond sur les gens, qu'elles soient vues dans une galerie ou sur un panneau indicateur. C'est un privilège pour moi d'avoir été l'objet de votre travail d'artiste et une fierté d'avoir eu votre soutien. »

TIME magazine a commandé à Fairey le portrait d'Obama utilisé en couverture du numéro consacré à la "personnalité de l'année 2008", tandis que l'image originale a été utilisée en couverture du numéro de février 2009 d’Esquire Magazine. Fairey a été désigné par GQ Magazine parmi ses hommes de l'année, pour l'influence qu'il a eue sur l'élection.




Au cours de l'année 2009, après diverses recherches sur l'origine de la photographie à la base du travail de l'affichiste, on a conclu que l'affiche HOPE était basée sur une photographie prise en avril 2006 par Mannie Garcia, alors en contrat freelance avec l'Associated Press (AP), qui réclame d'être créditée ainsi qu'une compensation financière. Garcia affirme cependant qu'il est le détenteur des droits de la photographie et il a déclaré être fier de l'impact de son image à travers le travail artistique de Fairey.Fairey pense que son travail tombe dans la catégorie de l'usage raisonnable (fair use). Les avocats des deux parties discutaient d'un règlement amiable, mais Fairey a engagé une poursuite fédérale contre l'Associated Press pour obtenir un jugement déclaratoire indiquant que son usage de la photo relevait du fair use et pas du copyright.

En janvier 2009, l'US National Portrait Gallery a acheté l'image originale HOPE pour sa collection permanente.




Un autre exemple (fort célèbre) du détournement d'une photographie: voici une reproduction de la photo originale du Che Guevara, devenue l’icône de la Révolution cubaine, avant la manipulation et la suppression de ces éléments visuels superflus. Un parfait exemple du culte de la personnalité au profit de l’idéologie révolutionnaire.




La récupération publicitaire de cette icône à l'échelle mondiale a depuis dépouillé du personnage du Che ce qui restait de l'idéologie révolutionnaire pour en faire un symbole ambigu de toutes les luttes de la gauche. Il me semble important de se questionner, par exemple, ce que peut vouloir dire, pour un jeune québécois de classe moyenne en 2010, le fait de porter un t-shirt à l'effigie du révolutionnaire cubain.



Si l'art est souvent subversif, il est bon de se rappeler qu'il a très souvent été mis au service du plus grand conformisme, que ce soit pour des usages publicitaires ou de propagande, et ce, avec une redoutable efficacité.

Pour en savoir plus sur les liens entre l'art de la propagande et les codes et les stratégies publicitaires, voir l'article: Les stratégies et les codes de la propagande.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Fiiiiouu! Wow, beaucoup d'informations ici! Super intéressant. C'est vrai qu'on vois Che Guevara partout, et toujours la même image en plus!
Merci.

Anonyme a dit…

Au moins Obama son affiche n'est pas aussi exagéré que celles de Hitler!

Anonyme a dit…

Merci de nous faire voir les liens entre l'art et la politique, comme aussi avec le post sur guernica de picasso!
xx
Camille L.

Anonyme a dit…

Il manque certains éléments, certaines informations qui pourrait être dit. Sinon c'est pas mal.

Anonyme a dit…

Super !

Anonyme a dit…

Je me demandais si la propagande faisait partie des courants artistiques. Si quelqu'un le sait j'aimerai qu'il me le dise s'il vous plaît.

David Hould a dit…

En réponse au message précédent, (désolé de te répondre si tard, en passant) la propagande ne fait pas partie des courants ou des mouvements artistiques. La propagande, c'est un peu comme la publicité: c'est un phénomène de société.
Les artistes sont souvent mêlés aux phénomènes de sociétés, soit parce que les autorités en place font appel à leur talents, soit parce qu'ils subissent ces phénomènes et y réagissent.
Prenons le cas de la publicité, par exemple: certains artistes très célèbres, comme Toulouse Lautrec, on gagné leur vie en faisant des affiches publicitaires. D'autres artistes, comme Wahrol, ont trouvé dans la publicité une inspiration.
Comme je l'explique dans cet article, la propagande est un ensemble de stratégies qui visent à rendre une idée populaire, souvent au service d'un gouvernement en place. Ce n'est pas un courant artistique, mais il est vrai que les images de propagande communiste en particulier ont un style bien à elles en raison de l'époque et des moyens utilisés. On peut donc parler de "style image de propagande" par exemple.

Anonyme a dit…

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